Pierre Giquel, retourner la peau de la peinture, 1990

Texte publié pour l’exposition de Philippe Lepeut à la Manufacture des Tabacs/Artothèque, Nantes, 1990.

La peinture ne produit pas toujours que des images. Subtilement, elle nous invite à emprunter à notre tour, parfois à notre corps défendant, ce long frisson qui l’origine, l’a conduite, et la génère encore. Elle esquisse ce lieu qui nous ramène à nous, interceptant la part habitable où le regard va « camper », fragilement, loin du fracas. Ainsi en est-il des œuvres de Philippe Lepeut, offertes sous le double signe de l’effleurement et du retournement. De la surface à l’opacité.
Alors que la peinture, ou les fusains, entretenaient une relation ambiguë, insidieuse presque, avec la sculpture (celle-ci étant la concrétisation de l’objet décrit ou rêvé) les « Nymphes », qui constituent l’une des dernières recherches, déjouent sensiblement les propos tenus antérieurement. L’eau ne peut se substituer au repentir. L’acte, dynamique, volontaire, entraînait une première forme qui, effacée, réapparaissait à nouveau. Sur le dessin, on pouvait suivre le déplacement de l’objet. Avec l’eau, l’idée d’inscription est abandonnée, radicalement. L’artiste évoque alors le risque de « liquider » la peinture. Singulier aveu de celui qui préfère parfois la métaphore aux notes intempestives, l’incertitude ou l’abandon aux laborieux exercices des formes.
Les « Nymphes » engagent ainsi une relation nouvelle, très personnelle à la peinture, liée à l’invisible, une certaine forme d’aléatoire, au corps.
Dessiner, désormais, et peindre, c’est travailler directement sur une sur face liquide : la feuille effleure le bain, déposant ses polypes, ses froisse ments chimiques sur le papier. « La petite peau » qu’évoque Lepeut ne se veut pas illustrative d’une idée; elle rejoint plutôt ce que l’histoire de l’art nous a légué, renversant la notion de touche, de tache, qui restent « col lées » aux pratiques picturales. Ici, l’activité du peintre est celle d’un préparateur, au sens alchimique du terme, d’un observateur privilégié.
Lieu de transformation, et l’on songe à un certain lavement sacramentiel, le bain devient le révélateur d’un ébat secret, interdit au regard. Manipula teur d’un ordre qui se dérobe toujours, Lepeut, qui aime à lire dans l’orthographe de son nom deux sens possibles, « Le peu », et « le peut », retourne la peau de la peinture, et il y réussit magistralement.