Philippe Piguet, questions de principe, 1993

philippe lepeut – questions de principe
par Philippe Piguet
Exposition galerie Oniris-Barnoud, Dijon, 1993

Le moins que l ’on puisse dire, c ’est que Philipe Lepeut est un homme de principes. Lui-même revendique le mot car rien ne l ’intéresse plus que l ’idée de protocole, c ’est-à-dire qu ’il est davantage curieux de ce qui conduit à un résultat que du résultat lui-même. Dans le langage informatique, on en parle ainsi en distinguant le hardware du software, la conception de l ’application . Il y va un peu de cela dans son travail. Non que Lepeut soit le paragon de l ’artiste conceptuel, loin de là, mais sa démarche fondée sur des interrogations primordiales questionne ce qu ’il en est tant d ’un avènement que d ’un traitement de l ’image.

Dessiccations, Agrégats, Ellipses, Transferts… les travaux de Philippe Lepeut en appellent à un vocabulaire volontiers scientifique qui souligne la sorte de processus mis en oeuvre pour les constituer. Ce soin de langage surenchérit le propos de l ’artiste en ce sens qu ’il annonce la couleur : c ’est au sein d ’une véritable investigation des moyens et des matériaux dont il dispose que son oeuvre trouve les éléments de son ressourcement. Le paradoxe est que celle-ci joue du hasard d ’une sédimentation, du trompe-l ’oeil d ’un déplacement, de l ’ invraisemblance d ’un tracé, de l ’ inconstance d ’une ombre, c ’est-à-dire autant de conditions qui recèlent l ’idée d ’une absence de contrôle, du refus du rationnel.
A l ’instar de Duchamp et de Man Ray photographiant leur célèbre « élevage de poussière ».

Il y va en effet d ’une semblable démarche chez Philippe Lepeut quand il se saisit par exemple d ’un événement aussi infime et fortuit que la projection ombrée d ’un objet sur ses murs – image qu ’il enregistre pour la traiter ensuite au travers du filtre informatique jusqu ’au quasi épuisement de sa lisibilité. Il y va de même quand il multiplie les étapes d ’un report d ’une image photographique pour n ’en plus conserver que le corps pelliculaire et le faire mordre à une nouvelle matière. Quand il décline enfin les possibilités de définition d ’une prise de vue grâce aux technologies de pointe de l ’ordinateur. Dans tous les cas, il y est question de pousser jusque dans ses retranchements un principe d ’objectivation afin d ’atteindre une sorte de point de non retour, de piéger le réel dans son retrait le plus extrême.

Au sens le plus fort du mot, Philippe Lepeut est un expérimentateur. D ’ailleurs, son atelier tient plus du laboratoire que de toute autre chose; il dit lui-même qu ’il ne le quitte jamais comme un chercheur qui s ’y enferme dans l ’impatience d ’une nouvelle découverte. En alchimiste de son temps, il ne manipule ni des éprouvettes, ni des cornues, mais des logiciels et des programmes numériques. S ’il déclare que c ’est le « principe de peindre » qui constitue toutefois l ’objet premier de ses recherches, c ’est que l ’image demeure son unique préoccupation et, tout particulièrement, ce qu ’il en advient au terme des divers traitements qu ’il lui fait subir.
D ’ailleurs, comme pour mieux souligner la part d ’imprévu que comporte son travail, Lepeut dit que celui-ci repose sur le « principe de faire image en aveugle », privilégiant de la sorte l ’exercice de la main à celui du regard.

Ses images, Philippe Lepeut les met en oeuvre dans différentes configurations qui déterminent autant de lieux à l ’illustration d ’un monde imaginaire. Vues panoramiques, espaces sidéraux, constellations, satellites, fonds tramés à l ’image de cieux en mouvement… quelque chose d ’une cosmogonie est à l ’oeuvre chez lui dans la façon qu ’il a d ’appréhender l ’espace. Constitués d ’éléments rapportés, tenus souvent à distance du mur qui les supporte, les travaux de Lepeut tiennent de ces constructions utopiques que l ’on réalise pour rendre intelligible la complexité des structures de l ’univers. S ’ils semblent procéder de l ’ordre de la maquette et présenter de ce fait une certaine incertitude, ils n ’en ont pour autant ni la fragilité, ni l ’aspect miniature – bien au contraire. Ampleur, étendue et résonnance sont les termes récurrents de cette oeuvre qui ouvre l ’illimité, alors même qu ’elle s ’appuie sur l ’infime.