Philippe Lepeut : Energéïa, Topographie de l’art, Paris

ITW publié dans le catalogue Energéïa publiée pour l’expositon éponyme qui s’est tenue à Topographie de l’art à Paris du 16 novembre 2019 au 16 janvier 2020. Pascal Pique, commissaire de l’exposition.

A propos de « L’Expérience de la goutte de poix », 2018-19

. Est-ce que le projet même de cette œuvre a été déterminé par une dimension ou une approche énergétique ? Si oui de quel ordre ?

La première version de cette pièce prend son origine dans les travaux du chimiste et physicien Marcel Vogel. Après avoir travaillé sur la luminescence des cristaux, il a rejoint IBM et poursuivi ses recherches sur les quartz dont on connaît les nombreuses applications. Quand il a quitté IBM pour prendre sa retraite la firme lui a offert son laboratoire et il s’est alors consacré à des recherches ésotériques. Il s’est en particulier attaché aux relations entre les fréquences émises par le cristal de roche et le corps humains. Il a déterminé une taille du cristal que l’on connait sous le nom de « vogel » et qui est très utilisée en lithothérapie.

La première version s’intitulait Vogel (Oiseau), la deuxième version présentée ici est plus complexe. Elle mêle les recherches sur la taille « vogel », une druse de cristal de roche et un arc énergétique entre les pointes des deux. L’œuvre prend pour titre celui d’une expérience appelée « L’expérience de la goutte de poix » qui tend à démontrer « la fluidité d’un solide », en l’occurence la poix.

. Est-ce que le choix des matériaux ou la structure (forme, géométrie) qui constituent l’œuvre a été guidé par une énergétique particulière ?

Absolument, c’est le mixage de deux pensées qui proviennent des sciences dures et qui en s’emboîtant ouvrent sur des espaces imaginaires profus. L’une vient de la physique et se dirige vers une forme de spiritualité en l’inscrivant dans le corps humain et les fréquences des cristaux, c’est la pensée de Marcel Vogel. Et l’autre qui vient de la mécanique des fluides et ouvre sur une métaphysique du temps et de la furtivité, c’est l’expérience de la goutte de poix commencée en 1927 en Australie par le professeur Thomas Parnell.

. Est-ce que pour toi l’énergie constitue un matériau artistique à part entière ? Si c’est le cas comment le travailler ?

Je ne pratique aucune spécialisation, aucune exclusivité et je fais feu de tout bois. A mon sens, le travail de l’art est nécessairement holistique et l’énergie en fait partie. Néanmoins, comme tous les matériaux, elle entre dans des stratégies de combinaisons de matières, de formes, de gestes et surtout de récits. C’est dans la façon dont l’énergie s’incarne, vient provoquer le sensible et ouvrir la perception du réel qu’elle m’intéresse.

. Quelle perception et quel ressenti as-tu toi-même de cette œuvre ? Et quel ressenti aimerais-tu privilégier pour le public ?

J’ai pu vérifier avec des radiesthésistes la puissance énergétique du quartz et du cristal de roche en tant qu’amplificateur de fréquence (aura). C’est assez étonnant.

Les gemmes, en général, exercent une fascinationt par la beauté de leur forme, leur géométrie, leur couleur ou leur apparence d’eau gelée. Les gemmes dégagent une force lumineuse. La taille du gemme vient en amplifier la beauté naturelle en révélant les clives et les diffractions à l’intérieur du cristal. La sobriété éclatante de cette beauté augmentée d’un récit devient, ou j’aimerais qu’elle devienne, la possibilité d’une contemplation.

. Est-ce que l’œuvre a été réalisée avec une intention ou une charge particulière ?

Je ne suis malheureusement pas « chamane » comme ma grand-mère. Je ne suis pas initié aux usages des pouvoirs magiques et je n’ai pas mis « d’intention ou de charge particulière » dans cette pièce, si ce n’est ce que j’en ai dit précédemment. Et la tentative de créer un arc énergétique entre la pointe de la druse et la pointe du vogel. Je ne cherche pas particulièrement à « mimer » des caractères ésotériques ou magiques souvent attendus mais bien à retrouver dans mes propositions la puissance magique d’une forme, d’une matière ou d’une énergie qui ouvrent des failles dans le monde sensible.

. Est-ce que les cultures de l’Invisible (métaphysique, énergétisme, animisme, arts premiers, cultures initiatiques, ésotérisme, alchimie, kabbale, Franc-maçonnerie, religion, etc.) ont joué un rôle dans la conception de cette œuvre ?

Depuis plusieurs décennies je fréquente l’alchimie vivante, le Yi king, les arts divinatoires et tous les protocoles sérieux ou non de délégation de la décision (« Oblique strategies » de Brian Eno ou « L’homme dé » de Luke Rhinehart, par exemple). Les dimensions ésotériques ou énergétiques informent indéniablement mon travail, me réjouissent, et m’amusent aussi, sans que pour autant elles apparaissent de façon explicite dans les œuvres. L’animisme est aussi très important, particulièrement depuis que je coopère avec des minéraux, des gemmes ou des roches.

. Quelle serait alors la part invisible de cette œuvre ?

La seule part invisible de l’œuvre est celle que chacun y apporte en la regardant, en la contemplant, en la questionnant,… Elle est par nature invisible, toujours manquante et en mouvement. Elle n’apparaît que dans la parole qui raconte et qui ouvre le dialogue

. Quelles sont les œuvres d’art actuelles où appartenant à l’histoire de l’art, dont l’énergie te touche particulièrement ?

La fréquentation de l’art et des artistes est vitale mais aussi élective. Parmis ceux et celles qui m’ont nourri il y a, entre autres, Beuys, Byars, Bourgeois, Broothaers, Durham, et Duchamp aussi… Mais aussi quelques anciens Le Parmesan, Bresdin,… dans les œuvres desquels je reconnais une énergie ancienne qui irradie et se transmet.

The perfect smile de James Lee Byars est pour moi, un summum dans le genre. Ou encore la série des books, figures en marbre blanc dans des vitrines ; je me sens en familiarité avec Byars dans mes préoccupations formelles de sobriété.

Pirogenetico de Jimmie Durham ou encore instant d’art, A la poursuite du bonheur, et son œuvre en générale, me touchent beaucoup par la violence de sa beauté abrupte. Mais encore Louise Bourgeois Cumul 1, par exemple, qui est une œuvre chargée d’une grande puissance mystérieuse, comme l’ensemble de son œuvre.

Et tellement d’autres encore ! Il faudrait les citer toutes et tous. Cela pourrait devenir une proposition pour un texte et une performance que je prépare pour le centre d’Art Passage à Troyes avec une pièce intitulée Hommage aux trois B (Bourgeois, Byars, Beuys), pour faire suite à ma performance Votre avenir dans un poème au hasard des dés.